Les relations amoureuses ont longtemps été régies par des normes culturelles strictes, où le modèle du couple monogame, cohabitant sous le même toit et partageant le même lit, était présenté comme l'aboutissement ultime de la maturité émotionnelle. Cependant, à l’aune des changements sociétaux ce modèle est de plus en plus remis en question.

Le Désir et l'autre : les fondements lacaniens
Lacan postule que le désir humain est fondamentalement structuré autour de l’Autre. Ce désir, loin d’être univoque, est fragmenté et multiple, se manifestant de manière parfois paradoxale. La relation amoureuse, dans cette perspective, est souvent un espace où l’individu cherche à combler ce qu’il perçoit comme un manque dans l'Autre, tout en étant également confronté à son propre manque. Or, le modèle du couple traditionnel tente souvent de masquer cette réalité par une quête de complétude. La monogamie, par exemple, se construit sur l’illusion d’une relation exclusive qui serait capable de répondre à l’ensemble des désirs de chacun des partenaires. Autrement dit, on vient à demander une complétude que l'on ne possède pas, dans l’espoir que l’Autre puisse nous la fournir. Ce mouvement repose sur la supposition que l’Autre, lui, serait d’une certaine manière complet. C'est précisément cette croyance en l'idéalité de l'Autre qui alimente l'illusion de la complétude dans la relation amoureuse, une illusion que Lacan nous invite à déconstruire pour révéler la nature fondamentalement divisée et incomplète du sujet désirant.
Là où les modèles de couple traditionnels peuvent être structurés autour de la complémentarité binaire (homme/femme, actif/passif, etc.), le couple queer défie ces catégories en insistant sur la fluidité des identités de genre et des rôles sexuels, et donc sur la multiplicité des possibles dans le désir. Le couple queer, par son existence même, remet en question l'idée que le couple doit se conformer à des rôles prédéfinis pour atteindre une forme de complétude ou de satisfaction ultime. Dans cette optique, l’autonomie de chacun des partenaires est respectée non seulement dans leurs désirs, mais aussi dans leur expression de genre et leur manière d’habiter la relation.
Dépasser la notion fourre-tout de maturité. Vers une nouvelle éthique relationnelle
Historiquement, la maturité dans le couple a été associée à la stabilité, à la fidélité, et à la fusion des identités. Le polyamour et les relations ouvertes apparaissent alors comme des réponses possibles à la reconnaissance de cette multiplicité du désir. Plutôt que d’enfermer le sujet dans l’illusion qu’un seul partenaire pourrait incarner l’Autre complet, capable de combler tous les aspects du manque, ces modèles relationnels permettent d’explorer différentes facettes du désir à travers plusieurs relations. Dans cette perspective, le sujet ne cherche plus à s’identifier exclusivement à l’objet d’amour de l’Autre, mais accepte la pluralité des objets du désir. Chaque partenaire devient ainsi une manifestation différente de ce manque fondamental, révélant la nature éclatée et toujours insatisfaite du désir. En multipliant les relations, le sujet ne cherche pas à échapper au manque, mais à reconnaître sa dimension structurelle, à appréhender la vérité de son être divisé. Le polyamour, en ce sens, n’est pas une quête de complétude par addition, mais une reconnaissance de l’impossible totalité, une manière de se confronter à l’absence de l’Autre idéal que chaque partenaire incarne partiellement, sans jamais le saturer.
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